Le petit horloger

  LE PETIT HORLOGER

Préface

Nos jeunes lecteurs qui, aujourd'hui, consultent à leur aise les horloges attachées aux monuments publics,
les pendules de tous genres dans leurs maisons et les montres élégantes à la portée de chacun, ne peuvent guère se rendre compte des difficultés que les anciens avaient à connaître les heures du jour. Pour beaucoup, la marche du soleil était le seul guide ; d'autres, plus favorisés avaient des sabliers ou des clepsydres, horloges à eau, cmbarrassantes et peu régulières.
Les premières horloges à rouages, comme on le verra dans ce récit, n'ont guère paru en public que vers le VIIIème siècle de notre ère et elles étaient bien imparfaites ; mais, peu à peu, des machines plus compliquées furent inventées, avec des carillons joyeux et sonores.
Mais, c'est surtout grâce à Christian Huyghens, que cet art, d'abord tout mécanique, est devenu une science, par 1'application du pendule aux horloges, par la découverte de l'échappement et du r essort à spirale, qui, au lieu du pendule, réglait, dans les montres, les oscillations du balancier,Christian Huyghens, par ces belles inventions, s'est placé au rang des plus grands savants du xvuème siècle. Il a fait bien d'autres découvertes dans diverses sciences, mais c'est simplement commc horloger que nous le présentons à nos jeunes lecteurs. Et que ceux-ci soient tranquille : il ne s'agit pas ici de descriptions scientifiques, mais d'épisodes amusants et très intéressants de la jeunesse du petit horloger.

Pour paraître le 19 Juillet 1924 -collection "les Livres Roses Pour la Jeunesse" - N° 354 - Librairie Larousse 






I. - L'ONCLE CORNELIS

 

Il y avait, au XVIIe siècle, un petit garçon né en 1629, très intelligent et très studieux, nommé Christian Huyghens. Son père qui habitait, à La Haye, une de ces jolies maisons hollandaises aux murs crénelés et ornés de faïences de Delft, lui donnait, quoiqu'il n'eût que douze ans, d'excellentes leçons de musique, d'arithmétique, d'astronomie et de physique. Christian s'appliquait à ces sciences avec beaucoup de zele, mais ce qui lui plaisait, surtout, c'étaient les machines: il était passionné pour la mecanique et ne rêvait que rouages, engrenages, mouvements et moteurs, 

Dès l'âge le plus tendre, il se rendait sur un de ces canaux si abondants aux environs de La Haye et, à defaut de tout autre moteur, il profitait du courant de l'eau, pour faire marcher les rouages qu'il inventait et qu'il combinait de la façon la plus ingénieuse.

Un beau jour, il se trouvait sur le bord du canal avec quelques camarades.

« Je vais, leur dit-il, vous faire un petit moulin qui tournera sur l'eau.

- Voilà qui n'est pas facile, répondit l'un d'eux.

- Prenez patience, j'y arriverai. »

Avec un simple couteau et quelques planchettes de sapin, il établit une machine composée de plusieurs roues qui, poussées par l'eau, actionnaient un marteau et cette espèce de crécelle, bruyante et cadencée,. ne cessait son tapage qu'au moyen d'un barrage qui arrêtait le mouvement de l'eau.

Bravo ! bravo ! '' crièrent les petits amis de Christian, émerveillés à la vue de ce chef-d'œuvre, mais leur surprise fut bien plus grande, quand ils virent des bonshommes de bois mus par ce moulin. L'un sciait du bois, un autre frappait du marteau, d'autres jouaient sur une balançoire, tantôt vite, tantôt lentement, selon la vitesse que l'eau imprimait à la machine.

Ce fut un triomphe pour le petit constructeur et on en parla à son père. Cependant, celui-ci trouvait que son fils perdait trop de temps à des inventions et à des recherches qui lui paraissaient plutôt des jeux que des études sérieuses, mais l'oncle de Christian,I'oncle Cornelis, frère de Mme Huyghens, prenait toujours la défense de son neveu et filleul.

C'était un homme instruit, au cœur d'or, toujours d'excellente humeur; un de ces Flamands qui prennent la vie par le bon côté. Il aimait beaucoup Christian.

« Cet enfant, disait parfois M. Huyghens, s'occupe trop de futilités, au lieu d'approfondir les sciences que je lui enseigne.

- Comment voulez-vous, lui demandait l'oncle, en riant qu'un gamin de douze ans puisse approfondir l'astronomie, la physique et même l'arithmétique ? Contentez-vous de lui enseigner les éléments et laissez-le se récréer quelque peu.

- Oh ! vous, mon cher Cornelis, vous l'excusez toujours!

- Je l'excuse, parce que cet esprit de recherche et d'invention chez un enfant me plait beaucoup et dénote un génie caché. D'ailleurs, Christian n'est-il pas obéissant et aimable?

- Oui, sans doute.

- N'est-il pas poli et studieux ?

- Nous n'avons rien à lui reprocher sous ce rapport, mais il aime trop le Jeu.

- Ce que vous appelez jeu est tout simplement le désir d'apprendre et d'expérimenter la science qui lui plaît le mieux, la mécanique. Il veut se rendre compte des choses qui frappent ses yeux et c'est bien cette curiosité que j'admire. Plaignez-vous d'avoir un fils qui sera peut-être plus tard un grand savant e t iera la gloire de son pays !

- Oh ! oh ! vous allez un peu vite, Cornélis ! Il faut nous contenter, pour le moment, d'en faire un bon écolier. 

- Oui, mais ne contrariez pas ses goûts. »

 

II. LES PREMIERES INVENTIONS DE CHRISTIAN 

La chambre du jeune Huyghens était un véritable musée où il aimait à réunir quelques camarades de son âge, pour leur montrer ses inventions, ses mécaniques, comme il les appelait. Avec des bobines et des fils de fer, il avait créé un petit théatre de marionnettes dont les jambes et les bras marchaient à volonté, à la grande joie des bambins appelés par Christian.

L'un d'eux, nommé Pieter Loos, avait un talent particulier pour le dessin.

"Pieter, lui dit un jour son ami, voici une bande de papier, dessine-moi des chevaux qui courent à la suite les uns des autres; tu verras comme je saurai les rendre vivants.

-Vivants ! des dessins sur papier !

-Fais toujours les chevaux et tu verras que je te dis vrai.

Le jeune Pieter lui remit bientôt une longue bande de papier où les chevaux se suivaient à la queue leu leu.

"Venez me voir demain," dit Christian à ses camarades.

Il construisit une sorte de boîte cylindrique qui tournait facilement sur un pivot. Les dessins, collés à l'intérieur, se reflétaient dans de petites glaces fixées sur le pivot. Quand on tournait la boite, les images apparaissaient successivement dans Ies glaces et les chevaux semblaient galoper les uns après les autres. Ce jouet, aujourd'hui perfectionné, se nomme praxinoscope, ce qui signifie regarder des images en mouvement.

« Que c'est joli ! s'écriaient les enfants, on dirait vraiment que ces chevaux sont vivants !

-Comment as-tu pu transformer ainsi mon dessin ? » demanda Pieter.

Christian fit connaître son procèdé à ses petits amis: c'était son habitude de leur donner l'explication de ses mecaniques.

Un beau jour, il voulut examiner à fond le clavecin de sa mére. Il profita d'une absénce de celle-ci pour ouvrir cet instrument qui, depuis longtemps, I'intriguait.

« Je suis désireux, dit-il à sa petite sœur Wilhelmine, de connaître le secret de cette musique qui donne des sons si doux et si variés, quand les doigts frappent ces touches d'ivoire.

-Ce doit être bien curieux à l'intérieur, repartit Wilhelmine, mais il n'est pas possible d'y regarder.

-Pas possible ! Crois-tu ? Eh bien ! je veux essayer de l'ouvrir et te montrer la machine mystérieuse qui est renfermée dans cette grande boîte.

-O Christian, ne touche pas à ce clavecin ! Si tu le déranges, tu ne pourras jamais remettre les choses en place et que diront nos parents ?

-Ma petite sœur, voilà longtemps que j'examine de prés ce clavecin; je sais les pièces qu'il faut enlever les premières. »

Il procèda à peu près comme font les accordeurs; il ouvrit le dessus du clavecin, puis, successivement, les deux battants qui enferment le devant. Les deux enfants, émerveillés purent admirer l'enchevêtrement des cordes de cuivre et le mouvement des marteaux qui les frappent, dès que les doigts pressent Ies touches d'ivoire.

"C'est merveilleux ! s'écriait Wilhelmine, comment maman peut-elle s'y reconnaître parmi tant de fils de toutes longueurs ?"

Tandis que la fillette pinçait doucement quelques cordes, Christian se rendait compte du mécanisme et en comprenait aisément la composition.

« Il est temps de remettre le tout en état, dit-il, nous savons comment le clavecin produit des sons si agréables."

En quelques tours de main, il referma la boîte qui n'avait subi aucune détérioration.

« Maintenant, dit le jeune garçon, je saurai, moi aussi, faire un instrument qui donnera de jolis sons.

IL VOULUT EXAMINER A FOND LE CLAVECIN DE SA MERE

-Mais, lui objecta Wilhelmine, tu n'as pas de boite comme le clavecin ; comment pourras-tu avoir des fils de laiton fins et brillants comme ceux que nous avons vus ici ? Et les petits marteaux qui frappent ces fils ? Et les jolis touches d'ivoire qui font mouvoir ces marteaux ? Comment pourras-tu te les procurer ?

-Si j'avais tout cela, Wilhelmine, je crois bien que je pourrais établir un clavecin comme celui-ci, mais je ne puis songer à me procurer tant d'objets si chers ; je veux donc faire seulement un petit instrument. Ce qui produit des sons divers, c'est la différente longueur des cordes, eh bien, tu verras que je te ferai un petit clavecin sur lequel tu joueras des doigts avec facilité.

- Oh ! Christian, combien je serais heureuse ! Mais est-ce possible ?

- Tu verras. "

Christian se procura une boîte en bois très léger, dont la partie supérieure restait ouverte. Il tendit deux ficelles parallèles sur la boîte, dans le sens de la longueur et alla trouver un vitrier voisin ami de son père. Celui-ci-avait beaucoup de morceaux de verre de toute dimension, déchets des vitres qu'il posait dans les maisons.

"Vous seriez bien aimable, lui dit Christian, si vous vouliez me couper plusieurs lamelles de verre, étroites et de longueur différente, de la forme de ce modèle. "

Et il montra un morceau de papier qu'il avait découpé avec soin, en prenant les mesures de sa boîte.

"Volontiers, mon petit Christian, rien n'est plus facile, " répondit le vitrier, et, en quelques minutes, il lui découpa une trentaine de lamelles plus ou moins longues.

Christian qui avait sa petite bourse voulut payer le brave homme de sa peine, mais celui-ci se mit à rire :

" Conserve ton argent, mon garcon, dit-il, et prends garde de te couper avec ces morceaux de verre. "

Rentré à la maison, Christian fixa les lamelles de verre sur les cordes parallèles, en allant des plus longues aux plus courtes et obtint à peu prés tous les sons de la gamme, mais ce ne fut qu'après de nombreux essais et après avoir eu recours plusieurs fois à l'obligeance du vitrier qu'il obtint une série parfaite de sons.

Au moyen d'un ressort d'acier, il établit au-dessus de chaque lamelle un petit marteau formé d'un bouchon placé à l'extrémité d'une baguette. Celle-ci était reliée à une touche de bois correspondant à chaque verre : si on appuyait sur la touche, elle abaissait le marteau sur la lamelle de verre et un son clair se faisait entendre. Le marteau se redressait dès qu'on cessait d'appuyer.

Avec cet instrument très simple, Christian eut la joie de reproduire quelques airs populaires du pays. Quant à sa sœur, elle était si heureuse qu'elle ne cessait plus de jouer sur son petit clavecin.

  

III. UNE HORLOGE EN PÉRIL

L'oncle Cornelis voyait avec joie se développer, chaque jour, les goûts de Christian pour la mécanique et il engageait ses parents à le mettre au collège, afin de lui donner une instruction solide et de fortifier ses excellentes qualités. 

Mais Christian était encore trop jeune et sa mère ne voulut pas s'en séparer. On lui fournit les livres nécessaires et on lui donna un précepteur pour le préparer à des études plus sérieuses.

Un jour, sa mère, qui s'occupait beaucoup d'œuvres de bienfaisance, I'emmena dans un asile de la ville où elle allait visiter des pauvres et des malades. Tandis qu'elle se rendait chez le directeur, elle laissa Christian avec sa sœur Wilhelmine, dans une salle d'attente remplie de meubles anciens, selon la mode hollandaise. Ce qui attira surtout l'attention du jeune garçon, c'était une vieille horloge à poids dont le tic tac monotone troublait seul le silence de la vaste salle.

 "Regarde, dit-il à sa sœur, ces aiguilles qui tournent en marquant les heures, ces poids qui descendent lentement, cette longue tige de fer qui se balance avec tant de régularité. Que je voudrais bien connaitre le mecanisme qui donne la vie à cette horloge ! »

Et il palpait les poids, les décrochait; les rattachait, arrêtait le balancier et le remettait en marche, de plus en plus intrigué et désireux de connaître le secret de cette machine.

 "Je t'en prie, Christian, lui répétait sa sœur, ne touche pas à cette horloge. Qu'arriverait-il, si tu en arrêtais le mouvement ?

 &emdash;Ne crains rien, petite sœur, je ne veux pas la déranger ; je veux seulement regarder l'intérieur. "

Et il monta sur une chaise et décrocha 1'horloge qu'il plaça sur une table.

"Christian, Christian, j'ai peur, criait Wilhelmine, on va peut- être venir et tu seras sévèrement grondé ! "

UNE VIEILLE HORLOGE A POIDS ATTIRA SON ATTENTION

 

Mais Christian avait déjà ouvert la partie postérieure de la boite, formée d'une planchette qui se glissait dans une rainure, et tout le mecanisme apparaissait à ses yeux éblouis : le treuil, appelé tambour, sur lequel s'enroule la corde qui soutient les poids, les roues dentées qui s'engrènent les unes dans les autres, le balancier qui oscille de droite à gauche et commande tout le mouvement, les deux aiguilles qui font leur évolution sur le cadran.

D'un coup d'œil, Christian saisit les lois et la marche de l'horloge. Wilhelmine, elle-même, très intéressée, ne dit plus rien et admire cette machine merveilleuse.

Il est vrai que l'horloge était du système le plus simple, sans sonnerie, et que les rouages n'étaient pas compliqués comme dans les pendules d'aujourd'hui. Avec son couteau, I'enfant eut bientôt fait de dévisser les aiguilles et d'enlever le cadran. Puis, ce fut le tour des roues, du tambour et du balancier. Il étalait ces diverses pièces sur la table dans un ordre parfait.

Wilhelmine tremblait de frayeur ; au moindre bruit, son cœur battait à se rompre.

« Oh ! Christian, Christian, que fais-tu ? disait-elle, avec des larmes dans les yeux, jamais tu ne pourras remettre en place ces roues et ces aiguilles ! Que va dire le directeur de la maison, quand il verra cette horloge complètement détruite ?

- Sois tranquille, Wilhelmine, j'ai vu et j'ai compris. Je veux maintenant rétablir l'horloge dans son état primitif. "

Il s'apprétait à remettre chacune des pièces à sa place, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit et le portier entra dans la salle. Il s'arrêta stupefait à la vue de cette horloge vide et des rouages dispersés sur la table. Il crut que l'enfant l'avait détruite par mechanceté.

« Qu'avez-vous fait, petit malheureux ? s'écria-t-il, qui vous a permis de toucher à cette horloge et de la mettre dans un pareil état ? Ne savez-vous pas que c'est un objet rare et précieux et qu'un habile horloger pourra seul la rétablir ?

- Je la rétablirai bien moi-même, repartit Christian, voyez, j'ai déja remis quelques roues.

- N'avez-vous rien cassé ? N'avez-vous pas égaré quelque pièce ?

Le portier irrité de cette réponse qu'il regardait comme prétentieuse et dictée par l'orgueil, allait prendre Christian par le bras et l'empêcher de toucher aux rouages, lorsque le directeur et mme Huyghens entrèrent dans la salle.

"Voyez dit le portier, ce qu'a fait cet enfant malavisé ! "

La mère de Christian restait confuse et interdite, mais le directeur, homme intelligent et instruit, avait constaté d'un coup d'oeil l'ordre avec lequel l'enfant avait rangé les diverses pièces sur la table. Ami de l'oncle Cornelis, il connaissait les aptitudes extraordinaires de Christian pour la mécanique et il comprit que ce n'était ni par méchanceté, ni dans un but de destruction que cet enfant avait délmonté l'horloge, mais pour en étudier le mécanisme.

"Mon enfant, dit-il, tu as démonté cette horloge pour t'instruire ; je ne puis te blâmer que de l'avoir fait sans m'en demander la permission. la seule pulition que je veux t'infliger, c'est de re garder ici jusqu'à ce que tu aies remonté tout le mécanisme ".

Christian, charmé de l'assentiment du directeur, se mit au travail, et, quelques heures plus tard, l'horloge, remise à sa place marchait à ravir et marquait les heures comme si elle n'avait jamais été démontée.

 

IV. UN BEAU JOUR DE FÊTE

Un matin les parents de Christian, en entrant dans la salle à manger, furent ébahis de voir pendue au mur, une horloge dont le gai tic tac se faisait entendre avec la plus grande régularité.
Elle était en bois de sapin. Le cadran, peint en vernis blanc, avec les douze heures en noir et les aiguilles en cuivre, se détachait nettement sur le devant de l'horloge, orné de fleurs aux couleurs vives et agréables. Les poids étaient en fonte, soutenus par des cordes soigneusement tressées.
Le balancier était formé d'une baguette en bois de chêne avec un disque de cuivre. La boîte, simple, mais élégante, ressemblait à ces coucous de la Forêt-Noire, aujourd'hui si répandus dans nos campagnes.
"Tiens ! tiens ! s'écria Mme Huyghens, toute joyeuse, en s'adressant à son mari, quelle surprise ! Tu as donc acheté une horloge ? Voilà si longtemps que je désire en avoir une !"
Il faut dire qu'à cette époque, c'était un luxe de posséder une horloge et peu de familles, même riches, avaient cet avantage. 
"Moi ? répliqua M. Huyghens, je n'ai absolument rien acheté et je suis aussi stupéfait que toi de voir cette horloge mystérieuse installée dans notre salle à manger !
 

LE DIRECTEUR ET MADAME HUYGHENS ENTRERENT DANS LA SALLE

 

- C'est peut-être un cadeau de mon frère Cornelis...

-Voilà une explication assez plausible...

-Nous allons le savoir, car je l'entends dans le vestibule."

L'oncle Cornelis entra bientôt, toujours joyeux et souriant. "Mon frère, dit Mme Huyghens, vous êtes bien gentil, vous m'avez fait une agréable surprise.

- Ah ! cette jolie horloge ! s'écria l'oncle Cornelis, ne me remerciez pas, ce n'est pas moi qui vous l'ai donnee...

- Qui donc alors ! Vous n'avez pas l'air très étonné et vous devez être au courant du secret...

- Eh bien ! C'est mon cher neveu qu'il faut remercier, car c'est lui qui vous a offert ce bijou. ,

- Christian ? Mais il n'a pas d'argent !

- Aussi, ne l'a-t-il pas acheté, il l'a fabriqué.

- Fabriqué cette horloge, mon petit Christian ! dit Mme Huyghens, mais ce n'est pas possible ! Vous plaisantez, mon frère !

- Allons, Cornelis, reprit le père, parle sérieusement. Christian n'est pas capable de fabriquer une horloge, ce qui demande des études spéciales et une grande expérience.

-Je vous affirme que Christian seul a crée cette machine qui marche fort bien. Après avoir étudié l'horloge de l'asile des pauvres, dont il a saisi tout de suite le mécanisme, il a pu examiner chez moi une autre pendule à sonnerie, qu'un de mes amis m'a prêtée et cela a suffi pour lui rendre possible la construction de la petite merveille que vous voyez là.

- C'est vraiment prodigieux! s'écrièrent M. et Mme Huyghens.

- Oui, prodigieux, mais il a le génie des sciences, comme un autre a celui de la musique ou de la poesie. Il a taillé lui-même les roues dentées, les pivots, le balancier, tout l'engrenage. Il a installé le mouvement de la sonnerie, avec ses trois jolies petites clochettes qu'un marteau vient frapper, pour marquer les heures. Mon rôle a été simplement de lui fournir les aiguilles, les poids, le bois et de peindre le cadran et les fleurs qui en font l'ornement. Mon petit horloger a fait preuve en cela d'un merveilleux talent et, aussi, d'un excellent cœur, car il a voulu que cette horloge orne votre salle à manger le jour même de l'annivereaire de la naissance de sa mére.

- C'est vrai ! C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma naissance ! Oh ! les chers enfants ! J'étais étonnée qu'ils ne fussent pas encore ici, pour m'offrir leurs vœux, comme chaque annee !

- Ils ont voulu d'abord vous laisser jouir de cette surprise : ils sont là, tous deux, Christian et Wilhelmine, qui attendent mon signal et celui de l'horloge. »

- En ce moment, un joli carillon se fit entendre: c'étaient les petites clochettes qui annonçaient midi et remplissaient gaiement la salle de leurs sons argentins.

"Venez, mes enfants, " cria l'oncle Cornelis.

 

ILS FURENT EBAHIS DE VOIR UNE HORLOGE PENDUE AU MUR

Christian, rouge d'émotion, et Wilhelmine entrèrent, portant de superbes gerbes de fleurs, et se jetèrent dans les bras de leur bonne mère qui pleurait de joie. leur père se détournait pour cacher les larmes qui coulaient à ses paupières. Il est inutile de dire que les plus douces caresses et les plus sincères éloges furent prodigués au petit horloger qui, plein de modestie, ne savait comment cacher sa confusion.


V. CHRISTIAN AU COLLÈGE

Enfin, le moment d'entrer au collège était arrivé. Christian fut placé comme externe dans le plus important de la ville, que fréquentaient les enfants qui se destinaient à poursuivre ensuite des études plus complètes dans les universités.

Christian s'y montra studieux et appliqué et obtint, dans les diverses sciences, des succès qui confirmaient les prédictions de l'oncle Cornelis, mais, tout en étudiant la géométrie et la physique, il ne perdait pas de vue la mécanique et, en plusieurs circonstances, il excita l'étonnement de ses maîtres et de ses condisciples, par des inventions ingénieuses et originales. Il remit en marche la montre d'un de ses professeurs. A la suite d'une chute, les rouages s'étaient dérangés, sans que rien ne fût cassé, Christian eut bientôt fait de les rétablir sur leurs pivots.

Un jour d'été, par une grande chaleur, ses camarades, altérés par las courses et le jeu, se plaignaient de ne pouvoir boire à leur aise. Au fond du parc de l'établissement, mais au delà du mur de clôture, coulait un petit ruisseau d'eau fraîche et limpide.

« Ah ! si nous pouvions atteindre ce ruisseau, disaient les écoliers, quel plaisir nous aurions à nous rafraîchir !

- Ce n'est pas impossible, repartit Christian.

- Tu sais bien qu'il est défendu de sortir du parc.

- Eh bien! sans sortir du parc, j'espère pouvoir vous donner autant d'eau que vous voudrez.

- Comment détourner ce ruisseau et amener son eau au-dessus du mur ? disaient les écoliers peu convaincus, il faudrait être sorcier pour cela.

- J'ai une idée qu'il me parait possible de réaliser.

- Voilà un vantard qui se moque de nous ! s'écria un grand élève qui avait toujours été jaloux des succès de Christian. Si tu peux seulement tirer une goutte de ce ruisseau, je te donne les dix florins que j'ai dans ma bourse !

- Et moi, je te fais cadeau de mon astronomie illustrée que tu admires tant, dit un autre.

- Et moi, ajouta un troisième, je te promets mon gros ballon de cuir."

Chacun fit ainsi un pari, croyant bien qu'il n'y avait rien à craindre pour la bourse, I'astronomie, Ie ballon et le reste.

« Je n'ai pas besoin de vos offres, répondit Christian, il me suffira d'avoir ici une eau fraîche et abondante."

Les enfants, rappelés par la cloche, rentrèrent dans leurs classes, non sans hausser les épaules, en ricanant.

Christian allait souvent, le dimanche, se promener à la campagne, avec l'oncle Cornélis. A sa première sortie, il le conduisit près du ruisseau qui coulait au pied du mur du collège et lui raconta ce qui s'était passé avec ses condisciples.

" Ce qu'il me faudrait, dit-il, c'est tout simplement une roue légère et assez grande pour atteindre la hauteur du mur, tout en touchant le niveau de l'eau.

 
 Christian et Wilhelmine entrèrent, portant de superbes fleurs
 
- Et tu crois faire monter l'eau avec cette roue ?

- Attendez, mon oncle, je n'ai pas fini. Deux ou trois augets, en forme de vases, fixés à cette roue, puiseraient l'eau et l'amèneraient à la hauteur du mur. Je n'en mets que deux ou trois pour que la machine soit moins lourde.

- Bon ! mon ami, les augets puisent l'eau, mais comment fais-tu tourner la roue ?

- Une manivelle, avec engrenage, reposant sur le mur, me permet, en restant à l'intérieur, de faire tourner la roue.

- Ce n'est pas mal, mon petit ingénieur, mais, quand 1'eau sera parvenue en haut, dans tes augets, comment pourras-tu la faire couler dans le parc ?

- Rien de plus facile : I'eau se versera dans une auge en bois en forme de canal, et coulera dans le parc, comme si elle sortait du goulot d'une fontaine

- Voilà qui est parfait ! Ton invention me paraît bonne et tes camarades seront bien surpris. Alors, pour ma part, j'ai à établir une roue munie de deux ou trois augets et d'une manivelle : ce ne sera pas difficile, avec deux solides montants. Il me reste maintenant à prévenir le directeur du collège, car je rien veux rien faire sans son autorisation."

- Le lendemain matin, l'oncle Cornélis alla trouver le directeur: auquel il fit part de l'idée ingénieuse de Christian. Le chef de l'établissement aimait beaucoup son jeune élève et, de plus, il était fort curieux de voir quel serait le résultat de ce projet.

" Ce ruisseau appartient au collège, répondit-il, je vous donne toute liberté pour essayer votre invention. Si nous pouvons avoir si facilement de l'eau, cela nous rendra un réel service mais, je suis comme saint Thomas, je ne croirai que quand j'aurai vu. "

Quelques jours plus tard, grâce à l'empressement et à l'activité de l'oncle Cornélis, heureux de faire plaisir à son filleul, la roue fut installée au pied du mur. Des godets attachés à sa circonférence, prenaient l'eau dans le ruisseau et la déversaient dans l'auge qui l'amenait dans le parc. La roue tournait sans difficulté au moyen d'une manivelle qui actionnait deux petites roues d'engrenage.

Le directeur, les professeurs et tous les élèves vinrent contempler cette merveille et admirer la fontaine qui laissait couler une eau claire et abondante. Le triomphe de Christian fut complet. Le directeur lui adressa des compliments et les écoliers le portérent en triomphe autour du parc.

Le jeune Huyghens, tout en poursuivant avec zèle ses recherches et ses études, se plaisait parfois à créer quelque invention qui pût, sans aucun danger, lui permettre de jouer un tour à certains personnages peu sympathiques et malveillants.

Une de ses farces les amusantes est celle qu'il fit au portier du collège, Péterboom. Celui-ci était un homme bourru, grossier, d'humeur maussade, toujours prêt à faire punir les jeunes écoliers qui ne lui donnaient pas assez de pourboire. Il avait l'habitude defermer la porte d'entrée à l'heure exacte marquée par l'horloge du collège qui souvent battait la campagne et avançait sur l'heure de la ville.

 
 Le portier était un homme bourru et grossier
 
Des enfants, qui croyaient arriver à temps, furent souvent obligés de retourner chez eux, punis ensuite par leur professeur pour avoir manqué la classe.

Un matin, Christian qui était d'une parfaite exactitude, partit de la maison à l'heure ordinaire, avec la conviction d'être en avance pour l'entrée en classe. Mais il avait compté sans les fantaisies de l'horloge collégiale et la méchante humeur de maître Péterboom.

La porte était close.

« Péterboom, cria le jeune Huyghens, par le guichet donnant sur la rue, Péterboom, ouvrez-moi, je vous prie !

- Non, monsieur, vous êtes en retard et vous savez bien que Ia porte se ferme quand sept heures sonnent à l'horloge.

- Il n'est pas sept heures en ville et votre horloge va mal.

- C'est moi qui règle l'horloge et personne n'a le droit de dire qu'elle marche irrégulièrement.

- Mais, depuis que nous causons, je serais déjà en classe...

- Tant pis pour vous ! Allez vous promener ! "

Et le portier ferma brutalement le guichet.

Christian retourna chez ses parents, tout contristé, et raconta à son oncle la mésaventure qui venait de lui arriver par la méchanceté et l'entêtement de Péterboom.

"Je vais etre puni en rentrant au collège, dit-il"

- Tu ne seras pas puni, mon neveu, parce que tu n'étais pas en retard, ne te fais aucun souci, je vais aller moi-même exposer le cas au directeur. ''

L'oncle Cornélis obtint gain de cause : Péterboom fut gourmandé en toute justice et Christian ne fut pas puni, mais le méchant portier se vengea par mille petites tracasseries dont tous les élèvès furent victimes.

" Ce Péterboom mérite une leçon, dit Christian à ses camarades, il nous cause toutes sortes d'ennuis, mais, comme il est aussi poltron que méchant, je veux lui jouer une farce.

Il inventa un système de sonnerie assez ingénieux, avec un ressort d'horlogerie. Celui-ci, remonté, devait, à un certain moment, mettre en mouvement une tige d'acier terminée par une petite boule qui frappait un timbre à coups précipités.

Cette sonnerie fut placée dans un mannequin pourvu d'un masque de carton grimaçant. Comme la loge du portier ouvrait sur la rue, Christian, aidé d'un de ses camarades, profita, un soir, d'une absence de péterboom, pour glisser le mannequin sous son lit.


 Le portier fut réveillé en sursaut
 
" Nous saurons demain ce qui s'est passé, dit le jeune Huyghens, mais, si, comme je l'espère, ma mécanique produit son effet, péterboom aura une belle peur."

Vers minuit, tandis que le portier dormait paiblement, la sonnerie retentit tout à coup, sous le lit, troublant le profond silence de sa loge : derlin ! derlin ! drelin !

Réveillé en sursaut, le portier ne pouvait confondre ces sons ceux de la clochette de la porte, qui étaient bien différents. Cependant, à demi endormi, il crut qu'un professeur retardataire, avait sonné du dehors. Il se leva en grommelant, ouvrit la porte : Personne ! Il revint tout tremblant dans sa loge.

« Je n'ai pourtant pas rêvé, murmurait-il, on a bien sonné, mais quel drôle de son ! C'étaient de petits coups rapides, précipités, comme si on frappait sur la cloche, avec une baguette de fer."

Il visita soigneusement la chambre, souleva les rideaux vit tout à coup, sous le lit, une forme humaine. Un voleur ! c'est un voleur, peut-être un assassin ! pensa-t-il, plein d'effroi et, sans plus regarder, il s'élança dans la cour, en fermant porte à clef.

« Au voleur ! A l'assassin ! cria-t-il de toutes ses forces.

Les domestiques, les professeurs, puis, le directeur accoururent.

« Que se passe-t-il ? demanda ce dernier.

- Ah ! monsieur le directeur, un voleur s'est introduit dans ma loge et s'est caché sous mon lit ! Il a fait retentir une sonnette qui m'a réveillé !

- Que me chantez-vous là, maître Péterboom ? Avez-vous-jamais vu un voleur qui s'amuse à sonner ? Cela me parait étrange ! Vous avez rêvé et c'est une folie de réveiller ainsi toute une maison, au milieu de la nuit !

- Je vous assure qu'il est sous mon lit, j'ai bien vu sa figure effrayante. D'ailleurs, il n'a pu s'enfuir, car j'ai fermé la porte à la clef.

- Allons voir ce fameux voleur... Il faut vous prouver votre sottise ! »

Tout le monde suivit le directeur. Péterboom tremblait de tous ses membres. Le prétendu larron était la, étendu, immobile, sous le lit. Un des domestiques le tira par les pieds et ramena le mannequin.

Ce fut un rire général, une fusée de quolibets à l'adresse de Péterboom, qui, honteux et confus, ne savait où se cacher.

Le directeur comprit qu'il s'agissait là d'une farce d'écolier et le mécanisme lui fit penser que cet écolier pouvait bien être son élève Christian. Celui-ci interrogé, le lendemain, avoua franchement son espièglerie, en expliquant le motif qui l'avait amené à l'imaginer.

Il fut puni, mais péterboom dut céder son emploi à un autre portier plus poli et moins brutal. C'est tout ce que souhaitaient les élèves du collège.


Vl. LA CARRIERE DU PETIT HORLOGER 

Apres avoir terminé ses premières études à La Haye, le jeune Huyghens fut envoyé à Leyde, puis à Bréda, pour se perfectionner dans les sciences mathématiques et physiques. Il parcourut ensuite les divers pay.s de l'Europe, entre autres l'Angleterre, I'AIIemagne et la France, dans le but de connaître les savants de son époque et les oeuvres remarquables qui pouvaient intérresser son génie inventif.

L'horlogerie jusque-là était restée un art purement mécanique, connu en Europe déjà depuis plusieurs siècles.

Une des plus anciennes horloges à rouages dont parle l'histoire est celle dont le pape Paul 1 er fit présent au roi de France Pepin le Bref. Elle causa une grande admiration parmi le peuple et on la regardait comme une merveille inspiree par la magie plutôt que par le génie des hommes.

Quelques annees plus tard, le calife Haroun-al-Raschid envoya à l'empereur Charlemagne, fils de Pepin, une horloge plus perfectionnée encore, et, dès ce moment, les inventeurs cherchèrent à multiplier ces machines qui remplacèrent les clepsydres et les horloges à eau, seules employées dans l'antiquité pour indiquer la marche du temps.

On vit alors des horloges compliquées. Un Italien, Jean de Dondis, en construisit une, au XIVe siècle, qui fut placée dans la tour de Padoue. Elle marquait, outre les heures, la marche du soleil et des planètes. On fut tellement émerveillé d'une telle oeuvre, qui dépassait tout ce qu'on avait vu jusqu'alors, que Jean de Dondis fut appelé Jean des Horloges, nom qui est resté à sa famille.

Partout, les grandes villes voulurent avoir leur horloge. Les inventeurs en construisirent de tous genres, avec des sonneries at des carillons. Ils luttérent d'habileté, pour se surpasser les uns les autres. Tantôt, on voyait les douze apôtres sortir d'une chapelle, à midi, et frapper chacun une cloche avec un marteau ; tantôt, un moine se montrait sur une galerie et, aprés avoir sonné I'heure, rentrait dans sa niche. Ailleurs, des saints formaient des processions, aux heures et aux demi-heures.

Parmi les plus célèbres, Huyghens put admirer Ies horloges de Strasbourg et de Lyon qui sont de véritables monuments, dont I'élégance et la complication étonnent les visiteurs.

Avant de venir en France, Christian voulut visiter la Forêt-Noire où, dépuis un temps immémorial, se fabriquent ces horloges en bois si coquettes et si légères. Il voulut connaître la façon dont les ouvriers font ces machines qui, par leur simplicité lui rappelaient celle qu'il avait construite lui-même pour sa famille.

Un beau jour, Christian et son ami Pieter Loos qui l'avait accompagné dans son voyage, pour étudier la peinture venaient de quitter, sac au dos, la vieille ville de Fribourg et avaient pénétré dans la forêt pour visiter, au hasard de la route, cette région si pittoresque. Ils cheminaient gaiement dans les sentiers bordés de prairies et de noyers dont les branches pendaient jusqu'à terre et offraient leurs fruits mûrs aux passants. Le pays était frais et vert comme une aquarelle et de nombreux ruisseaux murmuraient sur les cailloux et s'échappaient en bruyantes cascades.

« Quel pays splendide! disait le peintre, on dirait une suite de décors de theâtre et, à chaque pas, j'ai envie de tirer ma palette et mes pinceaux, pour peindre un de ces beaux paysages.

- Je comprends ton enthousiasme, mon cher Pieter, mais, si tu veux que nous arrivions, avant ce soir, au village de Herrenwies où se trouvent les horlogers, il faut presser le pas.

- Alors, marchons, mon ami, je ne voudrais pas me trouver égare, la nuit, dans cette sombre forêt.

- Ah-! les brigands de la Forêt-Noire ! C'est bon au theâtre !

Néanmoins, cher Christian, j'ai entendu raconter certaines histoires qui ne sont pas rassurantes. Ne crains rien, on ne rencontre ici que de bonnes gens, aux figures ouvertes et aimables. 

 
 LE CALIFE HAROUN-AL-RASGHID ENVOYA UNE HORLOGE A CHARLEMAGNE

- C'est vrai, mais avec des costumes d'opéra-comique.

- Cela doit plaire à un peintre tel que toi."

Après une longue course à travers la forêt, nos deux voyageurs se reposérent dans un chalet où ils prirent un copieux repas, avant de continuer leur route. Celle-ci se prolongeait à travers les sapins, les hêtres, les bouleaux, au pied de rochers monstrueux hérissés de buissons de houx et de genêts. Elle montait fortement en lacets allonges et les habitations devenaient de plus en piU9 rares.

"Il me semble, dit tout à coup Pieter, que le ciel se couvre, le temps devient sombre ; serions-nous menacés d'un orage ? "

Christian examina le ciel. Il était couvert de gros nuages noirs, poussés par un fort vent d'ouest.

 

"Hâtons-nous, ami, répondit le jeune Huyghens, tâchons d'arriver au village, avant l'averse. »

Mais le village était encore loin et déjà le tonnerre faisait entendre son grondement sinistre. Bientôt, de larges gouttes commencèrent à tomber. Il fallut se mettre à l'abri sous un rocher. L'orage dura longtemps et la nuit était venue quand les deux amis purent reprendre leur route.

« Pourvu que ce chemin nous conduise au village, dit Pieter, il serait facile de s'égarer, au milieu de ces sentiers qui s'entrecoupent sous bois, et par une telle obscurité.

- Nous frapperons à la première porte qui se trouvera sur notre route, répondit Christian.

- J'aperçois une lumière, dit soudain le peintre.

- C'est notre étoile du berger, nous sommes sauvés ! »

C'était un chalet, placé à l'entrée d'un plateau assez vaste où s'élevaient plusieurs maisons. Huyghens frappa à la porte. Un homme, jeune encore, lui ouvrit aussitôt.

« Entrez, dit-il, vous voyagez par un bien mauvais temps.

- Oui, nous avons été surpris par l'orage.

- Eh bien ! vous pourrez partager, ce soir, notre modeste repas et passer la nuit près du feu, à moins que vous ne désiriez aller jusqu'à l'auberge de Herrenwies.

- Est-ce loin d'ici ?

- Une heure environ.

- Nous allons toujours nous reposer ici, puisque vous le voulez bien, nous verrons ensuite si nous pouvons aller plus loin."

lls étaient dans une grande salle où se trouvait un établi de menuisier, muni d'un étau. Des scies, des limes, des marteaux et tous les outils de la menuiserie étaient suspendus à des râteliers, contre les murs. Une large cheminée, garnie de bûches, flambait joyeusement, tandis qu'une jeune femme préparait la cuisine, entourée de plusieurs enfants.

Des garçons de douze à quinze ans travaillaient autour de l'établi : L'un préparait une boîte carrée, un autre taillait des rouages, un troisième sculptait des aiguilles, chacun, enfin, avait son occupation bien déterminee.

"Je vois, dit Christian, que nous sommes dans un atelier d'horlogerie.

- Oui, monsieur, tous ces jeunes gens sont mes enfants ; nous achevons, en ce moment, une de ces horloges qui sont maintenant recherchées en Allemagne, en Suisse, en France et dans toute l'Europe.»


LE CIEL ÉTAIT COUVERT DE GROS NUAGES NOIRS

Huyghens examina chacune des pièces avec attention et félicita le pére de son beau travail.

« Je constate, dit celui-ci, que vous vous y connaissez.

Oui, un peu, répondit Christian en souriant.

- Je suis heureux de voir chez moi des hommes du métier nous allons souper, messieurs, vous devez avoir faim, aprés une journee de marche... Ensuite, si vous le permettez, je vous montrerai un ouvrage que j'ai entrepris et qui n'est pas facile.

- Je suis impatient de voir cet ouvrage," répondit Christian.

On se mit à table, une longue table, où, avec le père et la mère, s'assirent sept enfants. Les deux voyageurs furent installés à la place d'honneur. Le repas fut court, mais substantiel et arrosé de quelques verres de vin du Rhin. Lorsque tout le monde se fut levé, I'horloger dit à ses hôtes :

« Messieurs, voulez-vous me suivre ? »

Il les introduisit dans une pièce voisine où, sur un autre établi, se trouvaient une quantité de rouages en cuivre et des pièces d'horlogerie. Le père de famille souleva un rideau sous Iequel apparut, suspendue au mur, une horloge de vaste dimension.

" Voila, dit l'ouvrier, une horloge que j'ai construite avec tout le soin et le savoir dont je suis capable. »

Christian examina cette œuvre dans tous ses détails et manifesta à plusieurs reprises son étonnement et sa satisfaction.

"Vous devez être content, dit-il à son hôte, car ce travail est vraiment remarquable.

- Je l'ai fait en vue d'un concours que la ville d'Heidelberg vient d'établir pour une horloge qui doit être placée sur son château, mais j'ai peu de chance et, pourtant, ce serait l'aisance, la fortune pour ma pauvre famille, si je l'emportais.

- Et qui vous fait douter du succés ?

- Je n'ai jamais fait que des horloges communes, à une seule sonnerie, et je crains que mes concurrents ne présentent des horloges à plusieurs sonneries et d'une marche plus régulière que la miienne, car on parle d'un pendule-régulateur, inventé par le savant hollandais Huyghens et je suis trop pauvre pour me procurer ces pièces perfectionnées. »

Christian jeta un coup d'œil malicieux à son ami Pieter.

« C'est bien, répondit-il à l'horloger, nous allons coucher ici et, demain, si vous le voulez bien, nous reparlerons de votre œuvre. »

Le lendemain, Huyghens démonta l'horloge et, avec des rouages supplémentaires, montra à son hôte comment on pouvait établir une sonnerie pour les fractions d'heure, ainsi qu'un carillon aux airs multiples et variés, et, sans se faire connaître, il lui expliqua la theorie du pendule-régulateur appliqué aux horloges

IL FUT APPELÉ A PARIS PAR COLBERT

et lui promit de lui en envoyer un. Christian passa plusieurs jours dans cette brave famille, pour mettre son travail à point et, quand I'horloge fut remontée et mise en mouvement, tout le village accourut aux sons clairs et harmonieux de son carillon. Ce fut aux acclamations de toute la population et chargés des bénédictions de leurs hôtes, que les deux amis reprirent leur voyage.

Quelque temps plus tard, l'horloger de Herrenwies reçut le pendule et sa surprise fut à son comble, quand il sut que son bienfaiteur était Christian Huyghens lui-mêne, qui lui avait permis, par son aide, de l'emporter sur tous ses concurrents, à Heidelberg.

Christian Huyghens marcha de succès en succès.Tout jeune il était appelé à Paris par Colbert et nommé membre correspondant de l'Académie des sciences. Il découvrait le premier satellite de Saturne, grâce à une lunette qu'il avait construite lui-même.

II écrivit de nombreux et savants ouvrages sur l'astronomie, la géométrie, la physique, mais son plus grand titre de gloire c'est l'application du pendule aux horloges, comme régulateur et l'invention du ressort à spirale pour remplacer le pendule dans les montres et régler l'oscillation du balancier.

C'est grâce à ces découvertes que 1'horlogerie est devenue une véritable science.

Christian Huyghens quitta la France pour retourner en Hollande, en I681, malgré tous les efforts que firent le roi et son ministre pour le retenir. Il mourut à La Haye, en 1695. Comme I'avait prédit l'oncle Cornélis, le petit horloger était devenu un grand savant et avait fait la gloire de son pays.

 

FIN

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire